Par Driss Tissoudal, Consultant
Cet article est extrait d’une étude qui a pour objectif de mesurer la conformité des banques participatives marocaines avec les exigences de divulgation prévues par les normes IFRS.
Les normes internationales d’information financière connues au sein de la profession comptable et financière sous leur nom anglais d’International Financial Reporting Standards ou IFRS sont des normes comptables, élaborées par le Bureau international des normes comptables (International Accounting Standards Board ou IASB en anglais) destinées aux entreprises cotées ou faisant appel à des investisseurs afin d’harmoniser la présentation et la clarté de leurs états financiers.
L’approche la plus utilisée pour développer les concepts de la comptabilité des banques participatives est l’approche pragmatique. Cette approche consiste à ne pas développer des concepts comptables à partir des principes islamiques, mais à tester les concepts comptables conventionnels par rapport aux valeurs islamiques.
Les concepts qui ne violent pas les principes islamiques seront acceptés et tous ceux qui sont en violation seront soit rejetés ou modifiés pour trouver une alternative acceptable.
Cas de la Mourabaha
La Mourabaha désigne tout contrat par lequel une banque participative acquiert, à la demande du client, un bien meuble ou immeuble en vue de le lui revendre moyennant une rémunération convenue d’avance. Le règlement par le client peut être effectué en un ou plusieurs versements effectués, à une date ultérieure, selon l’échéancier prévu par le contrat.
L’opération de Mourabaha revêt la forme de deux transactions successives d’achat et de revente, par la banque participative, du bien objet de la Mourabaha.
Le contrat Mourabaha obéit à des règles très strictes en matière de :
- promesse d’achat,
- livraison du bien,
- garanties durant les différentes phases de possession du bien,
- dépôts de garantie versés,
- modalités de calcul du prix de revient,
- modalités de détermination de la marge bénéficiaire,
- paiement du bien aussi bien par l’acquéreur initial que par l’acquéreur final.
L’enregistrement comptable des opérations de Mourabaha doit couvrir, notamment, les points suivants:
- Promesse d’achat
- Hamish Al Jiddiya ou dépôt de garantie
- Conclusion du contrat
- Arrêté comptable
- Provisions pour créances en souffrance
- Fin du contrat
Cadre conceptuel
Ce contrat permet de financer l’achat pour un client, sans qu’il soit obligé de contracter un emprunt portant intérêt. C’est une opération d’achat par la banque, suivie d’une vente au client avec un paiement échelonné.
La marge commerciale ne peut être assimilée à de l’intérêt car elle représente la rémunération des risques de détention du bien par la banque (rétractation ou décès du client, dégradation du bien, retard de livraison par le fournisseur, etc.), jusqu’au transfert au client donneur d’ordre. La Mourabaha est donc une opération commerciale (vente à profit) et non financière.
La Mourabaha est un contrat récent et certains foukaha l’ont conçue comme une forme de transaction commerciale différée. La condition de validité de ce contrat est basée sur le fait que la banque doit acheter (devenant donc propriétaire) et ensuite transférer le droit de propriété à son client. L’ordre émanant du client ne constitue pas un contrat de vente mais une simple promesse d’achat.
Les avis divergent sur le fait que cette promesse d’achat constitue une obligation ou non. L’Académie de l’OCI, l’Organisation de Comptabilité et d’Audit pour les Institutions Financières Islamiques (OCAIFI), ainsi que la plupart des banques islamiques traitent la promesse d’achat comme une obligation qui s’impose au client. D’autres juristes sont de l’avis que l’obligation ne s’applique pas au client. Le client même après avoir donné l’ordre et payé, peut demander l’annulation du contrat. Le risque de contrepartie le plus important lié à la Mourabaha émane de cette diversité d’appréhension de la nature juridique du contrat (BID, 2002).
Un autre problème lié à la Mourabaha se pose lorsque la contrepartie ne respecte pas les échéances car les banques islamiques ne peuvent, en principe, augmenter le coût du finnacement. Ce retard de paiement peut causer des pertes pour la banque.
Dans un environnement économique où la quasi-totalité du système bancaire marocain présente des comptes consolidés selon les normes IFRS, il serait nécessaire d’analyser si le référentiel IFRS peut offrir une alternative. En effet :
- Soit l’opération est considérée dans sa substance et s’analyse de ce fait comme le financement d’une acquisition d’actifs pour le compte d’un client, donc comme un dépôt/prêt, et suit alors le principe IAS 39 de la méthode du taux d’intérêt effectif pour la reconnaissance du résultat.
- Soit l’opération est considérée selon sa forme en considération des éléments juridiques de l’opération. Elle s’analyse alors comme une créance sur le client qui s’est engagé à travers une promesse d’achat de reprendre à terme l’actif pour un prix convenu.
La divergence la plus importante entre les deux cadres comptables reste :
- la nécessité d’actualiser les flux de trésorerie à recevoir et donc comptabiliser un produit financier et reconnaître un intérêt prohibé.
- les normes IFRS imposent plusieurs conditions qui pourraient, si on les appliquait à certaines opérations de financement Mourabaha, conduire à ne pas constater de revenu du tout.
- les normes IFRS sont beaucoup plus précises sur les éléments de coût à intégrer ou non.
- les normes IFRS ne retiennent le principe de non compensation qu’au niveau des actifs et passifs. Dans certains cas la norme IFRS 9 des Instruments Financiers tolère la compensation au niveau du compte de résultat avec une comptabilisation d’une charge ou d’un produit net.
La promesse de vente est comptabilisée en hors bilan au débit du compte 80285 « engagements de financement – opérations de Mourabaha ». Les schémas comptables présentés par Bank Al-Maghrib ne précisent pas cette exigence.
En IFRS certaines informations sont prescrites. Pour les autres, l’exercice du jugement est requis pour identifier les engagements se traduisant par des risques majeurs sur les états financiers
- Sources majeures d’incertitudes et hypothèses utilisées : nature de l’incertitude, montant à la date de clôture (IFRS 1)
- Résumé des principales méthodes comptables : base d’évaluation et autres méthodes utilisées nécessaires à la compréhension des états financiers (IFRS 1)
Rappel des principales informations prescrites par les Normes IFRS au titre du hors bilan :
- Garanties financières : descriptif et valeur comptable des actifs financiers donnés en garantie de passifs ou de passifs éventuels (IFRS 7.14) et échéancier des garanties (IFRS 7.39)
- Garanties détenues (actif financier ou non) qu’une entité est autorisée à vendre ou à redonner en garantie en l’absence de défaillance du propriétaire de la garantie (IFRS 7.15)
- Existence et montant des restrictions sur les immobilisations corporelles données en nantissement de dettes (IAS 16.74.a)
- Engagements d’achats d’immobilisations : montants des engagements contractuels (IAS 16.74c et IAS 38.122e)
- Informations sur les passifs éventuels (IAS 37.86)
En conclusion, il existe des obstacles majeurs pour l’application intégrale des normes IFRS par les banques islamiques. Mais, une large harmonisation peut être atteinte par l’application des aspects pertinents des normes IFRS et par le développement de normes IFRS spécifiques à la finance islamique. Cette situation a un impact négatif sur la comparabilité des états financiers des IFI. Les responsables de l’IASB et ceux de l’AAOIFI s’étaient réunis à ce sujet le 16 décembre 2014 pour entamer une réflexion sur un rapprochement entre les deux référentiels comptables.
Réalisé par Driss Tissoudal
Références :
- Direction de la Supervision Bancaire Modalités de comptabilisation des produits Ijara, Moucharaka et Mourabaha – Bank Al-Maghrib (Pdf).
- Circulaire de base No.96 adressée aux banques – Banque du Liban (Pdf).
- La gestion des risques en finance islamique – Banque Islamique de développement (Pdf).
- Adaptation du plan comptable des établissements de crédit (PCEC) à la finance islamique au Maroc – ISCAE, mémoire, PCEC, Salima BENNANI
Source : Le Journal de la Finance Islamique
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