Quelle norme comptable pour l’assurance Takaful ?

Norme comptable Takaful

Par Driss Tissoudal, Consultant

Dans cet article je m’intéresse à la norme comptable applicable à l’assurance islamique Takaful, en particulier dans le cadre du modèle choisi par le Maroc au niveau de la loi 59.13 qui est, si j’ai bien compris, le modèle « Wakala modifié » où l’opérateur est rémunéré par des commissions up-front mais aussi par une partie de l’excédent technique. Ce modèle est celui appliqué en Arabie Saoudite et en Malaisie qui s’accaparent respectivement 50% et 25% du marché mondial du Takaful.

Question est ce que IFRS 4 et la nouvelle norme IFRS 17 s’appliqueront à ce modèle ?

  1. Reconnaître et comptabiliser un contrat ;
  2. Evaluer un contrat à l’origine ;
  3. Réévaluer ce contrat lors des périodes suivantes ;
  4. Présenter les résultats dans les états financiers.

Pour répondre à ces interrogations il faut se demander si le contrat takaful est bien un contrat d’assurance et y a-t-il un transfert du risque ?

La norme IFRS 4 qui traite des contrats d’assurances définit le contrat d’assurance comme étant : « Un contrat selon lequel une partie (l’assureur) accepte un risque d’assurance significatif d’une autre partie (le titulaire de la police) en convenant d’indemniser le titulaire de la police si un événement futur incertain spécifié (l’événement assuré) affecte de façon défavorable le titulaire de la police ».

Les deux définitions prévues par le Plan Comptable Marocain et le Financial Accounting Standard Board (FASB) soulèvent la question de savoir si oui ou non un contrat Takaful est considéré comme un contrat d’assurance.

Les normalisateurs comptables de référentiel islamique, AAOIFI et IFSB, définissent le contrat d’assurance islamique comme suit :

«L’assurance islamique est un processus d’accord entre un groupe de personnes pour gérer les préjudices résultant de risques spécifiques auxquels tous sont vulnérables. Un processus implique le paiement des contributions sous forme de dons, et… la mise en place d’un fond d’assurance qui jouit d’une entité juridique… les ressources de ce fond sont utilisés pour indemniser tout participant qui subi un préjudice».

«Dans le Takaful… un groupe de participants se mettent d’accord entre eux pour se soutenir les uns les autres conjointement pour faire face aux pertes découlant de risques spécifiés… Les participants contribuent selon le principe du Tabarru’ par le moyen d’une somme d’argent dans un fond commun, lequel sera utilisé pour l’assistance mutuelle des membres contre les pertes ou dommages spécifiés ».

Analyse des définitions

Il y’a deux éléments clés à considérer dans IFRS 4 afin de se prononcer sur le fait qu’elles soient applicables ou non à l’assurance islamique Takaful à savoir : l’acceptation de l’assureur d’un risque significatif d’assurance et l’engagement d’indemnisation de l’assuré en cas de survenance d’un événement futur incertain spécifié.

Dans l’assurance conventionnelle, l’assureur est la partie qui accepte les risques sur les assurés lesquels lui ont été transférés par le moyen d’un contrat d’assurance.

Dans le Takaful, le participant paye une contribution à un fond commun de participation qui va être utilisé pour se couvrir mutuellement. Ce sont les participants en tant que collectifs et non l’opérateur Takaful qui acceptent le risque d’assurance des participants pris individuellement. Ainsi, on peut dire que l’assurance islamique Takaful est caractérisée par le partage du risque et non par son transfert.

Certains praticiens estiment que le transfert du risque est complètement différent de son partage et donc un contrat d’assurance Takaful ne pourrait pas entrer dans le champ d’application de la norme IFRS 4.

D’autres n’ont exprimé aucune objection à inclure le fond des participants dans le champ d’application de la norme IFRS 4 puisque l’acceptation du risque significatif s’est faite en réalité entre ce fond et les participants pris individuellement.

Nous pensons qu’un fond des participants ayant accepté le transfert du risque d’assurance des participants pris individuellement au collectif des participants entre dans le champ d’application de l’IFRS 4 et notamment des normes comptables marocaines relatives à l’assurance.

Ceux qui désapprouvent l’application de l’IFRS 4 aux opérateurs Takaful mettent en avant le fait que ces derniers agissent uniquement en tant que gestionnaires du fond des participants. Tous paiement effectué par l’opérateur Takaful est fait au nom du fond Takaful et est recouvré auprès de ce fond.

Le paragraphe B19 de l’IFRS 4 donne des exemples de contrats qui ne sont pas considérés comme contrat d’assurance. Si le contrat transfère le risque de l’assurance aux assurés, il est considéré comme hors du champ d’application de la norme.

« Les exemples suivants sont des exemples d’éléments qui ne sont pas des contrats d’assurance: … Contrats qui ont la forme juridique de l’assurance, mais qui rétrocèdent tout le risque d’assurance significatif au titulaire de la police par le biais de mécanismes exécutoires non résiliables et qui ajustent les paiements futurs à effectuer par le titulaire de la police directement en fonction des pertes assurées ».

A la première lecture de ce paragraphe, il peut apparaître qu’un opérateur Takaful est exclu du champ d’application de la norme IFRS 4. En effet, un des principes directeurs de l’assurance islamique Takaful étant le partage du risque d’assurance parmi les participants ce qui peut être interprété comme si l’opérateur a transféré tous les risques significatifs d’assurance aux participants.

Cependant, en examinant d’une façon critique la description énoncée par le paragraphe B19

(b), il en ressort que l’assurance Takaful est sensiblement différente de ce qui est décrit.

Le contrat Takaful est généralement un contrat résiliable puisque le participant se réserve le droit de mettre fin à son contrat (tout en respectant les clauses de résiliation prévues par ledit contrat). Ainsi, s’il y’a un déficit du fond des participants, il est difficile de contraindre le participant à augmenter sa contribution.

Ceci nous amène à la deuxième différence entre le contrat Takaful et le contrat décrit dans le paragraphe B19 (b). L’opérateur ne dispose pas de mécanismes exécutoires afin de lui permettre d’obtenir des paiements supplémentaires des participants.

Ceux qui pensent que l’opérateur Takaful fait partie du champ d’application de l’IFRS 4 citent le paragraphe B17 qui stipule qu’un assureur peut accepter un risque d’assurance significatif en provenance du titulaire de la police seulement si l’assureur est une entité séparée du titulaire de la police. Dans le cas d’un assureur mutualiste, la mutuelle accepte le risque de chaque sociétaire et procède à la mise en commun de ce risque. Bien qu’en leur qualité d’adhérents à la mutuelle, les sociétaires supportent collectivement ce risque mis en commun, la mutuelle a quand même accepté le risque qui est l’essence d’un contrat d’assurance.

La lecture du paragraphe B17 révèle que la définition du risque d’assurance inclut la mise en commun du risque. Ainsi, d’après la description fournie, il peut sembler que la mise en commun des risques dans les mutuelles d’assurances est similaire à celle du Takaful. Le rôle de l’opérateur Takaful ne peut se limiter à la gestion du fond des participants. En effet, dans de nombreuses juridictions telles que la Malaisie ou le Pakistan, l’opérateur est contraint à prêter une assistance financière au fond des participants déficitaire.

Présentation des états financiers

Actuellement, une grande partie des assureurs à travers le monde utilise les normes internationales d’information financière (IFRS). Conformément à ces normes, les entreprises d’assurance islamique Takaful doivent publier leurs comptes d’une manière combinée, c’est à dire, en combinant le Fond des Participants (Policyholder Fund) et le Fond des Actionnaires (Shareholder Fund).

Récemment, le Financial Services Authority (FSA) au Royaume-Uni a annoncé que les compagnies d’assurance islamique Takaful seront réglementées comme les compagnies d’assurance mutuelles, c’est à dire à un niveau combiné du Fond des Participants et du Fond des Actionnaires, et n’envisage pas de modifier les règles comptables pour les opérations relatives au Takaful dans un avenir proche.

Au Maroc, à l’heure actuelle, aucune règlementation comptable spécifique à l’assurance islamique Takaful n’existe pour traiter des aspects comptables qui lui sont propres, ce qui amène les compagnies à faire des choix difficiles quant à la présentation des états financiers, notamment la présentation combinée.

Cela conduit à des questions de transparence et de comparabilité. Comment les actionnaires potentiels seront-ils en mesure d’évaluer les résultats de la compagnie si les comptes combinent les résultats du fond des participants et du fond des actionnaires?

A l’inverse, si les comptes font apparaître le fond des participants et le fond des actionnaires séparément, la comparaison de la performance des compagnies d’assurance conventionnelles avec des entreprises d’assurance islamiques Takaful, exigerait que les résultats soient combinés.

Conclusion

Nous supportons l’idée d’appliquer les normes IFRS tout en traitant directement les questions où la nature du Takaful est différente de l’assurance conventionnelle. Ceci pourra permettre aux compagnies d’assurance islamique d’être épargnées des difficultés de reporting sous différents référentiels et éliminerait les arbitrages dans les traitements comptables.

Driss Tissoudal

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Source : Le Journal de la Finance Islamique

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