Pour une meilleure gouvernance des banques participatives au Maroc

Schéma Banques Participatives

Par Abderrafi EL MAATAOUI – Expert Comptable diplômé. Certifié CSAA (Certified Sharia Adviser and Auditor) par l’AAOIFI. CIMA UK CDIF.

Considérée comme un moteur de développement économique, la gouvernance d’entreprise a été au centre du débat public dans les pays développés depuis les années 90. Son importance cruciale pour le bon fonctionnement des marchés financiers a été mise en avant. L’idée sous-jacente est qu’une entreprise cotée gérée en bonne gouvernance attirerait les capitaux financiers plus facilement et dans les meilleures conditions (prime de risque moins élevée).

Au fil des vingt dernières années, les moteurs de promotion de la gouvernance d’entreprise ont été divers et variés dans les pays développés : le Rapport Cadbury, les rapports de l’OCDE , les travaux du comité de Bâle, l’adoption de la loi Sarbanes-Oxley (ou SOX) en 2002 au Etats Unis, les travaux de la « Responsabilité sociale des Entreprises »…

Capitalisant sur l’expérience cumulée des pays développés, la gouvernance des banques islamiques (GBS) essaie de se frayer un chemin vers les bonnes pratiques internationales, notamment grâce aux nomes AAOIFI et IFSB. Sous forme d’une approche triangulée conciliatrice, cette gouvernance intégre, en plus des considérations occidentales actionnariales (shareholders’ governance), et partenariales (stakeholders’ governance), des objectifs éthiques de conformité à la Sharia. Elle vise une meilleure transparence de l’information et une répartition équitable des droits et des obligations entre les actionnaires, les dirigeants, et les parties prenantes, notamment les titulaires des comptes d’investissement participatif

Schéma d’introduction des banques participatives au Maroc

L’introduction des banques participatives au Maroc est encore en gestation. Sur le plan de la gouvernance des banques participatives, en cette phase pré-réglementaire, le projet marocain va dans le sens d’une configuration hybride. Cette configuration prévoit, d’une part, la mise en place un Comité Sharia de la Finance Participative, sorte de Sharia Board national central, géré au sein du Conseil supérieur des Oulémas. Et d’autre part, la mise en place, au sein de chaque banque participative, de fonctions internes de conformité.

I – Un cadre légal et réglementaire protecteur et centralisé

Avec l’appui du comité Sharia et du comité des établissements de crédit, la banque centrale conserve des droits étendus de réglementation et de contrôle. Ainsi, la banque centrale détient deux prérogatives majeures, outre les pouvoirs généraux applicables à toutes les banques :

La banque centrale dispose – après avis conforme du Conseil supérieur des Ouléma et après avis du comité des établissements de crédit, du pouvoir exclusif d’agrément des banques participatives.

La banque centrale dispose du pouvoir de délivrance de l’accord préalable de commercialisation des produits participatifs par les banques conventionnelles, les établissements de paiement, les associations de micro-crédit, les banques offshore, la Caisse Centrale de Garantie, et la Caisse de Dépôt et de Gestion.

II – Un Comité Sharia central

L’instauration d’un comité Charia central, issu du Conseil supérieur des Oulémas, pour toutes les banques dénote également d’un souci de cohérence législative et réglementaire. Ce comité aura des prérogatives en matière de :

Délivrance des avis conformes des produits et des activités des banques participatives.

Délivrance des avis conformes des circulaires de Bank Al-Maghrib relatives aux conditions et modalités de collecte et de placement des dépôts d’investissement des clients des banques participatives.

Délivrance des avis conformes des circulaires de Bank Al-Maghrib relatives aux caractéristiques techniques des quatre produits de financement (Murabaha, Moucharaka, Ijara, et Moudaraba) ainsi que les modalités de leur présentation à la clientèle.

• Délivrance des avis conformes des circulaires de Bank Al-Maghrib relatives aux caractéristiques techniques de tout autre produit de financement non prévu par la loi bancaire.

• Réception à la fin de chaque exercice d’un rapport émis par les banques participatives relatif à l’évaluation sur la conformité de leurs opérations et activités

III – Des fonctions de conformité internes pour chaque banque

Les banques participatives seront tenues de mettre en place des fonctions de conformité internes chargées des tâches suivantes :

• identifier et prévenir les risques de non-conformité de leurs opérations et activités aux avis conformes du Conseil supérieur des Ouléma ;

• assurer le suivi de l’application des avis conformes du Conseil supérieur des Ouléma précité et d’en contrôler le respect ;

• veiller à l’établissement des manuels et des procédures à respecter ;

• adopter les mesures requises en cas de non respect avéré des conditions imposées pour la présentation au public d’un produit au sujet duquel un avis conforme du Conseil supérieur des Ouléma précité a été émis.

Les divers protagonistes et parties prenantes de la gouvernance des banques participatives au Maroc sont récapitulés ci-après :

Parties prenantes

Recommandations et « Best Practices»

A ce stade, et dans l’attente des circulaires d’application qui seront émises par la banque centrale, les principaux points névralgiques qui nous paraissent devoir faire l’objet d’une réglementation pointue inspirée des bonnes pratiques internationales, sont résumés comme suit :

1 – Rôle et fonctionnement du « Sharia Board » national à étendre

La loi relative aux banques participatives au Maroc accorde un rôle central au Conseil Supérieur des Oulémas, qui se voit attribuer le rôle de Sharia Board national. Ce rôle déterminera de façon significative la réussite ou non de l’expérience des banques participatives dans le pays. Cet organe ne devrait pas être une simple « boîte à lettre » fonctionnant à distance, par l’émission d’avis conformes sur les produits participatifs, et la réception des rapports d’évaluation annuels adressés par les banques participatives.

Ses attributions devraient aller au-delà de ces deux aspects, certes importants mais insuffisants. A notre sens, cet organe devrait être investi d’une mission plus étendue, et disposer des pouvoirs d’investigation et d’audit « sur place » au sein même des banques participatives.

La bonne gouvernance préconisant une séparation nette entre les fonctions de fatwa et de contrôle (pour ne pas reprendre l’expérience mitigée des pays du golfe), le contrôle des banques participatives devrait être assumé par un organe indépendant, soit au sein du CSO, soit par création d’une structure ad hoc. Le contrôle étant une activité très technique, cette structure devrait être dotée des potentialités humaines hybrides nécessaires : oulémas spécialisés en « Fiqh Al Mouaamalat » et experts financiers (auditeurs, experts comptables, experts en système d’information, juristes…).

2 – Usage des rapports de conformité annuels à préciser

Il faudrait que le devenir du rapport annuel, préparé par les banques participatives et adressé au Conseil supérieur des Ouléma, soit minutieusement réglementé.

A notre sens, pour remplir son rôle d’information et de contrôle, ce rapport devrait :

• avoir un contenu standardisé comprenant les points clés relatifs à la transparence des relations avec les clients et les déposants.

• faire l’objet d’un rapport d’audit externe par des auditeurs spécialisés et formés dans ce sens.

• faire l’objet d’une publication obligatoire périodique résumée auprès du public.

3 – Constitution des fonctions de conformité

La loi ne précise aucunement si le Conseil Supérieur des oulémas aura un mot à dire par rapport à la constitution des fonctions de conformités des banques participatives. Or, il nous semble fondamental que des verrouillages doivent être instaurés à ce sujet pour garantir que ces instances jouent un rôle préventif et de détection, en matière de contrôle interne, d’audit, et de gouvernance.

Les règles minimales à assurer dans ce sens sont les suivantes :

• Nomination des membres: formation initiale et continue, double compétence en matière « chariatique » et bancaire.

• Positionnement dans la hiérarchie des banques participatives.

• Procédures de travail: chartes, pouvoirs, missions, plans annuels, rapports.

• Modalités relationnelles avec le conseil supérieur des Ouléma.

Modalités relationnelles avec les commissaires aux comptes.

Cet objectif devrait être recherché soit en impliquant le Conseil Supérieur des oulémas dans la validation de la constitution des fonctions de conformités des banques participatives, soit en balisant la constitution de ces fonctions par une directive de Bank Al-Maghrib.

4 – Points spécifiques à réglementer

Les points névralgiques ci-dessous conditionneront de façon significative la réussite ou non du modèle marocain de banque participative et devraient faire l’objet d’une réglementation minutieuse :

Verrouillage des activités des fenêtres islamiques (étanchéité opérationnelle et comptable). Si les islamic windows offrent l’avantage indéniable de la simplicité et de la commodité, ils permettent également aux banques conventionnelles de compléter leurs gammes commerciales, d’ériger des barrières à l’entrée, et de protéger le marché « retail ». Par contre, les islamic windows présentent l’inconvénient d’une perception négative du public. Cette solution, par essence intérimaire, pourrait être permise dans un premier temps en période de lancement. A terme, dans un horizon de trois à cinq ans, la fermeture totale de ces islamic windows et l’externalisation de leurs activités nous paraît inéluctable.

Le partage des pertes et des profits des comptes d’investissement, gérés en Moudaraba, entre les banques participatives et les déposants. La collecte des dépôts à des coûts raisonnables et leur fidélisation est un gage de bonne gestion des risques spécifiques des banques islamiques, notamment le risque commercial déplacé, le risque de liquidité, et le risque réputationnel. A ce titre, les comptes d’investissement occuperont une place centrale dans la structure de financement des banques participatives. Leur gestion par les banques et la rémunération des investisseurs devront être verrouillés sur le plan réglementaire.

Les provisions de lissage « Profit Equalisation Reserve » et « Investment Risk Reserve ». Le recours à ces deux provisions s’est imposé sur le plan international. Elles visent à minimiser le risque de retrait massif des fonds des comptes participatifs à cause d’une rémunération insuffisante ou irrégulière dans le temps. La constitution et la gestion de ces réserves devrait être attendue à des niveaux de réglementation élevés. Il en est de même des aspects relatifs à la communication et à la publication.

Le traitement des pénalités de retard des impayés des clients des banques participatives et leur reversement à des œuvres caritatives externes. Un dispositif de contrôle de l’exhaustivité et de la véracité du reversement des pénalités de retard à des œuvres caritatives préalablement listées devrait être mis en place.

Les règles de déclassement et provisionnement des impayés. L’application de la circulaire 19 de Bank Al-Maghrib serait à moduler pour l’activité des banques participatives pour tenir compte de la bonne ou mauvaise foi des clients retardataires, et offrir une marge de manœuvre aux banques pour le provisionnement ou non.

Attributions additionnelles des commissaires aux comptes. La loi 103-12 n’accorde aucun rôle additionnel aux commissaires aux comptes des banques participatives. Sur le plan international, les auditeurs externes sont des alliés de taille au Sharia Board. Les relations entre ces deux organes sont étroites et leurs apports sont très complémentaires. Les auditeurs externes des banques participatives – après agrément par la banque centrale – devront être investis de diligences spécifiques pour s’assurer notamment de la purification des revenus illicites générés par les banques participatives, et des méthodes de calcul et de distribution des revenus des comptes d’investissement participatifs.

Les normes comptables. Dès l’entrée en vigueur du fonctionnement des banques participatives, un plan comptable sectoriel spécifique, tenant compte des exigences de la Sharia, devrait être mis en place par le Conseil National de Comptabilité. Une simple adaptation du PCEC ne serait pas une solution durable et efficace.

Le cadre fiscal. Le cadre fiscal des produits participatifs devrait consacrer leur spécificité conformément aux finalités de la Sharia. L’assimilation au cadre fiscal des produits conventionnels n’est pas adéquate (Mourabaha vs crédit conventionnel, Ijara vs crédit bail, Sukuks vs obligations). Par ailleurs, les produits non encore traités fiscalement tels que la Moudaraba, la Mousharaka, le Salam, et l’Istisnaa, constitueront des freins au développement des banques islamiques.

Conclusion

Le cadre bancaire légal dans la majorité des pays musulmans demeure dominé par le cadre légal et réglementaire du paysage bancaire conventionnel reconnu à l’échelle internationale. Néanmoins, la gouvernance et la surveillance des banques dites participatives devraient être attendues à des niveaux d’exigence élevés en termes d’éthique et de déontologie, conformément aux préceptes de la Charia. Le caractère spécifique de ces banques devrait être consacré pleinement dans tout dispositif légal et institutionnel.

En effet, le contrôle des banques dites participatives au Maroc devrait aller au-delà du contrôle des banques classiques – fruits de la réglementation du comité de Bâle – en tenant compte des profils de risques particuliers induits par le principe de partage des profits et des pertes (3P), et en différenciant nettement entre les activités de détail, les activités d’investissement, et les activités de marché (gestion Actif / Passif).

Le choix du Maroc d’opter pour un modèle central pourrait s’avérer judicieux dans un premier temps en attendant un retour d’expérience graduel, et une certaine maturité des banques participatives. Dans une phase ultérieure, les risques spécifiques liés aux banques participatives appelleront certainement une modulation plus adéquate des règles prudentielles et comptables, et des mesures protectrices.

Abderrafi EL MAATAOUI – www.finaliance-conseil.com

Source : Le Journal de la Finance Islamique

© RIBH. Reproduction de l’article autorisée sous réserve de conserver les liens et la signature ci-dessus.

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