La finance islamique vecteur de justice et de paix

Dominique de Courcelles
Dominique de Courcelles : La finance islamique pourrait contribuer à une réorganisation éthique des flux de capitaux à l’échelle mondiale

Les économistes savent déjà que l’Islam, par son humanisme spirituel, par son économie participative, peut être une énergie créatrice pour les nécessaires changements, pour la justice économique du  21ème siècle. Alors que les diversités culturelles tendent trop souvent à s’affirmer en extrémismes intolérants et meurtriers [NDLR : au pluriel], la finance islamique offre peut-être l’opportunité de reformuler et expliciter une identité éthique, en dehors de tout contexte culturel ou religieux spécifique, qu’il soit européen, occidental, ou oriental, et d’avoir une intelligence novatrice et créatrice des problèmes d’un monde globalisé.

Par Dominique de Courcelles
Directeur de recherche au CNRS. Enseignante à l’École Polytechnique et à l’université Paris Dauphine dans le cadre notamment du Master de Finance Islamique.

L’Islam n’est pas seulement une religion mais aussi un système tout à la fois politique, religieux, militaire, économique, social, juridique, tout autant qu’un mode de vie exprimant la soumission de l’individu à Dieu et au Message révélé par l’intermédiaire du Prophète. Il est une religion, une communauté et une loi générale. Il associe le spirituel et le social. A une communauté – Oumma – solidaire et unie doit correspondre une loi unique et incontestée, la Chari’a, conçue pour l’intérêt général des créatures de Dieu.

Pour l’Islam, selon le Coran dont le texte canonique est établi au 7ème siècle, l’argent est un don de Dieu, car tout appartient à Dieu, et ne saurait donc faire l’objet d’échange en soi. L’homme est lieutenant de Dieu sur terre et responsable devant Dieu des richesses dont il dispose. La propriété individuelle est souhaitable et le profit est légitime. La deuxième sourate du Coran, intitulée “La Génisse” Al-Baqara, qui est la plus longue du Coran avec 286 versets, comporte de très nombreux versets consacrés, de façon souvent très technique, aux questions économiques. N’oublions pas qu’on est déjà au 7ème siècle dans une société marchande bien organisée et que le Prophète lui-même a épousé une riche commerçante et a eu une activité de marchand.

Dans la conception islamique, l’enrichissement est licite, il est la marque de la miséricorde ou bénédiction de Dieu. Un hadith exprime bien cette conviction : Dieu accorde sa miséricorde à l’homme généreux dans ses achats, généreux dans ses ventes et généreux dans ses transactions.

Le gaspillage et l’excès sont interdits et il est important de bien gérer les richesses. La thésaurisation est interdite, parce que l’argent ainsi retiré du circuit économique réduit la croissance des richesses de la communauté. La sourate 104 “Le Calomniateur” Al-Humaza rappelle : « Malheur au calomniateur acerbe qui a amassé une fortune et l’a comptée et recomptée ! Il pense que sa fortune l’a rendu immortel. Qu’il prenne garde ! Il sera précipité dans le Feu d’Allah » (104:1-6).

L’argent doit toujours être utilisé afin de créer de la valeur ajoutée

La logique sociale repose sur une logique participative. Le concept de capitaux à risque est donc vite apparu comme légitime, avec celui de partage équitable des risques et des gains pour la légitimité d’un revenu. L’Islam, comme les deux autres monothéismes, apporte une très grande attention à la solidarité et à la justice sociale.

La sincérité et la confiance sont centrales dans les relations d’affaires et le droit musulman est essentiellement contractuel. Par exemple, le Coran exprime le souci des droits de chaque partie contractuelle et précise que la mise par écrit des actes est essentielle pour la préservation des droits de chacun, avec, si besoin est, remise de gages : « Croyants, lorsque vous contractez un prêt à terme, il doit être consigné par écrit… Si vous êtes en voyage et que vous n’avez pas trouvé de notaire, il faut exiger la remise de gages » (2:282-283).

Un hadith dit encore : « Dieu est le troisième des deux associés tant qu’ils ne se trahissent pas. Si l’un d’eux trahit l’autre, Dieu les quittera ».

En Islam, selon des Fuqahas, sur la base de leur interprétation des sources de la Chari’a, y compris le Coran, l’argent ne produit pas l’argent. L’usure est interdite par Dieu même : « Allah a déclaré licite le troc et déclaré illicite l’usure… » Allah, au Jugement dernier, annulera les profits de l’usure, alors qu’il fera fructifier le mérite des aumônes… » (2:277).

En plus de l’interdiction primordiale du prêt à intérêt est interdit l’enrichissement sans cause, la riba, qui se rapproche de la notion d’intérêt. La riba n’est pas à proprement parler l’usure, elle est un supplément donné en sus du principal. Sont interdits également le maysir, le pari, le jeu de hasard, et le gharar, la spéculation dans l’incertitude. Si la spéculation dans la limite de son propre capital n’est pas forcément condamnable, est condamnable la spéculation à découvert, c’est-à-dire la vente de ce qu’on ne possède pas.

La zakat ou aumône est l’un des cinq piliers de l’Islam, et donc une obligation par laquelle le musulman purifie sa richesse et ses revenus, particulièrement ceux qui proviennent des activités économiques. « Ne choisissez pas ce qui est vil pour le donner en aumône » (2: 267). Elle est un instrument de redistribution et de justice sociale ; elle devient une technique financière.

L’Islam incite également au règlement des dettes à bonne échéance ou au report de la dette pour les débiteurs en difficultés : « Si votre débiteur est dans la gêne, qu’un sursis intervienne jusqu’à ce qu’il soit à l’aise. Toutefois, faire aumône de cette dette est mieux pour vous… » (2 : 280).

Une partie de la richesse accordée par Dieu doit être réservée à des emplois définis par le Coran, c’est-à-dire redistribuée : « Ceux qui dépensent leurs biens dans le chemin d’Allah sont semblables à un grain qui produit sept épis ; et chaque épi contient cent grains. Allah double pour qui il veut » (2:264).

Il est notable que, dans les premiers temps de l’Islam, les mosquées ont servi de cours de justice ; l’idée d’économie islamique dérive donc d’une certaine conception de l’Islam comme fondement d’un système politique, social et économique, juridique, soucieux de partage équitable.

La légitimité religieuse de la finance islamique

L’actuel développement d’une économie islamique de marché et de la finance islamique, en prenant en compte l’interdit fondateur avec toutes ses implications de solidarité et de responsabilité, est relativement récent. La finance islamique contemporaine est née dans les années 1960 comme possibilité de système financier alternatif à l’économie et à la finance traditionnelles et conforme aux préceptes du Coran.

Depuis les années 1980, avec le renouveau religieux et les crises subies par certaines institutions financières, la finance islamique questionne l’économie et la finance traditionnelles, telle qu’elles ont été mises au point dans le cadre des deux autres monothéismes, juif et chrétien, principalement dans les pays anglo-saxons, en leur rappelant sans équivoque et fermement ce qui demeure les valeurs fondamentales des monothéismes.

Les financiers de l’Islam amènent ainsi leurs interlocuteurs des autres cultures, qu’ils soient croyants ou non, à prendre au sérieux l’éthique et l’intelligence des textes sacrés.

Dans le contexte globalisé de l’économie concurrentielle de marché, face à la demande croissante de produits financiers islamiques, les banques islamiques tendent évidemment à s’approprier les produits financiers traditionnels, ce qui estompe les frontières entre la finance islamique et la finance traditionnelle, ce qui exige aussi de leur part une double compétence, à la fois dans le domaine de la finance et dans celui des principes de la Chari’a et de l’interprétation.

Aujourd’hui, on s’accorde à reconnaître qu’un système économique et technique, global, a saisi le monde. Il s’agit d’un système financier, de l’économie concurrentielle de marché. Coupé du politique et de l’éthique, ce système concurrentiel de marché tend à devenir une idéologie, dans la mesure où il est organisé autour d’une logique financière de moyens et de profits. Il n’est pas organisé en termes de fins ni de valeurs.

Mais alors que les diversités culturelles tendent trop souvent à s’affirmer en extrémismes intolérants et meurtriers, la finance islamique offre peut-être l’opportunité de reformuler et expliciter une identité éthique, en dehors de tout contexte culturel ou religieux spécifique, qu’il soit européen, occidental, ou oriental, et d’avoir une intelligence novatrice et créatrice des problèmes d’un monde globalisé. C’est ainsi que la finance islamique désigne pour les experts financiers amenés à travailler ensemble, quels qu’ils soient, l’urgence de replacer la personne humaine au cœur des activités économiques et la nécessité d’avoir une attitude intérieure apte à répondre à cette urgence.

Des cultures différentes pourraient ainsi se réunir avec éthique et intelligence sur un même projet de bancarisation et donc de croissance harmonieuse globale de l’humanité, qui serait à même de prendre en charge efficacement la redistribution des richesses et de réguler les peurs, les ressentiments et les extrémismes. La finance islamique pourrait contribuer à une réorganisation éthique des flux de capitaux à l’échelle mondiale et donc à une meilleure intelligence des conditions de la justice et de la paix dans le monde.

Dominique de Courcelles
Extrait de “La finance islamique : éthique et intelligence de la globalité” Pdf
Collection “Etudes en économie islamique” IRTI
Titre et synthèse : RIBH

Du même auteur : “Je ne suis pas Charlie.”

Source : Le Journal de la Finance Islamique

© RIBH. Reproduction de l’article autorisée sous réserve de conserver tous les liens et la signature ci-dessus.

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Un commentaire

  1. C’est un texte extrêmement important qui mérite d’être largement diffusé, car le sujet est mal compris par les musulmans eux-mêmes.

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