L’introduction d’actifs islamiques au Maroc nécessite une mise à niveau juridique. L’Association des Sociétés de Gestion et Fonds d’Investissement Marocains – ASFIM a réuni une soixantaine d’acteurs du monde de la finance de la place financière de Casablanca à l’occasion d’un séminaire privé conduit par le cabinet de consulting européen spécialisé en finance islamique IFAAS sur le thème : «Gestion d’actifs islamiques et sukuk au Maroc, quels défis ? Quel mode d’emploi ?».
Article mis à jour le 26 avril 2015
Les différentes classes d’actifs de la finance islamique étaient au coeur du séminaire organisé le 27 février 2013 à Casablanca : actions, immobilier, matières premières et sukuk. Des pistes d’adaptation de la réglementation financière marocaine aux préceptes de la Sharia ont été présentées. Il convient de rappeler que les actions sont la classe d’actifs prépondérante dans les portefeuilles des fonds islamiques.
Les OPCVM Sharia compliant sont assimilables à une sous-catégorie d’OPCVM diversifiés
Lancés en 1995, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) marocains ont connu un essor considérable et jouent aujourd’hui un rôle significatif dans le développement du marché financier. Intervenant lors du séminaire, Boubkeur Ajdir, directeur des activités en pays francophones du groupe IFAAS a notamment passé en revue la circulaire du CDVM de janvier 2012 qui peut être amendée assez facilement pour que les OCPVM Sharia compliant puissent être assimilés à une sous-catégorie d’OPCVM diversifiés.
L’intervenant a indiqué la possibilité de préciser les caractéristiques d’éligibilité Sharia pour rendre cette circulaire conforme aux préceptes de la Sharia en énumérant notamment les critères de sélection quantitatifs et qualitatifs dont il faudra tenir compte pour que l’investissement soit licite :
- L’activité de la société dont les actions sont visées ne doit pas concerner des secteurs interdits par la Sharia : alcool, jeux de hasard, banques et différents acteurs de la finance conventionnelle, tabac, pornographie, industrie porcine…
- Certains secteurs ne sont pas interdits par la Sharia mais nécessitent une attention particulière comme : publicité, hôtellerie, tourisme…
- Le revenu provenant de domaines d’activité illicite doit être inexistant voire négligeable (par exemple inférieur à 5%).
- La structure financière ne doit pas dépasser certains seuils en termes d’endettement et d’effet de levier. A titre d’exemple, aucun des postes dette conventionnelle, trésorerie ou créances clients ne doit dépasser le tiers des capitaux propres. Ces ratios financiers sont fixés par le sharia board chargé de valider le fonds d’investissement.
Autre aménagement possible: dans la même circulaire, on pourrait ajouter le rapport de l’audit annuel de conformité Sharia parmi les documents du rapport annuel exigés des gestionnaires de fonds. Idem pour les notes d’information à faire viser par le CDVM avant le lancement de tout nouvel OPCVM.
D’autres textes exigent plus de temps, en raison du passage obligé par le législateur. C’est le cas de la loi 1-93-213 relative aux OPCVM promulguée en 1993. Le conférencier propose de mentionner dans les statuts des SICAV ou dans le règlement de gestion des FCP la spécification «conforme aux préceptes de la Sharia» pour les stratégies des fonds islamiques. L’article 84 de la loi précitée peut être aménagé en précisant que les OPCVM Sharia compliant peuvent faire des emprunts d’espèces qui devront être aussi conformes à la loi islamique. Dans la liste des éléments exigés dans le rapport annuel (bilan, compte de produit, inventaire des actifs, etc.), il conviendrait d’exiger l’avis de conformité à la Sharia.
Les Sukuk
Instruments financiers islamiques semblables aux obligations classiques en qualité et objectifs financiers, les sukuk sont cependant structurés différemment d’un point de vue juridique. Ils sont très recherchés par les institutions islamiques en raison du manque de diversité d’instruments Shariah compatibles. Les sukuk constituent un marché alternatif de capitaux pour les grandes entreprises, et une bonne stratégie de diversification pour les fonds souverains et les institutions financières traditionnelles.
Les sukuk sont des titres qui attestent de la propriété indivise, directe ou indirecte, dans la propriété d’un bien, ou de son usufruit, ou de services définis ou d’un projet d’investissement. Les porteurs de sukuk ont droit à une part des revenus générés par les actifs sous-jacents. C’est cette rémunération aux porteurs du sukuk qui leur donne une certaine similarité avec les obligations conventionnelles. A la différence des obligations conventionnelles, ce sont les porteurs de sukuk qui assument les risques et les avantages découlant de la propriété de ces actifs, au prorata de leurs parts.
Les sukuk constituent un instrument indispensable pour permettre le développement et la croissance à long terme de la finance islamique sur le marché marocain, pour tous les acteurs (banques participatives, takaful…).
Il n’y a pas de structure standard de sukuk : outre ses objectifs propres, l’émetteur doit prendre en compte le type d’actif sous-jacent (immobilier, industrie, patrimoine public, etc.) ainsi que les objectifs des clients souscripteurs (rendement, échangeabilité des titres, etc.).
En attendant l’adoption éventuelle d’une loi ad hoc, le cadre réglementaire des sukuk au Maroc résulte de l’aménagement de la loi 33-06 portant sur la titrisation. Le Ministère de l’Economie et des Finances, accompagné par Maghreb Titrisation, a procédé à la refonte du cadre légal et fiscal de la titrisation au Maroc. La nouvelle législation a élargi le champ des actifs éligibles à la titrisation en remplaçant la notion de créances par la notion d’actifs éligibles, qui inclut les actifs corporels, immobiliers ou mobiliers.
La réforme engagée de la loi sur la titrisation permettra de favoriser l’émergence du marché des Sukuk au Maroc, en créant un cadre juridique qui élargit le champ des actifs titrisables aux actifs corporels.
Cet élargissement de la base des actifs éligibles aux opérations de titrisation s’est accompagné d’un élargissement de la base des établissements initiateurs en permettant à l’Etat, aux entreprises publiques et aux sociétés commerciales marocaines d’avoir un recours direct à la titrisation leur offrant un moyen de financement alternatif. Ces évolutions permettront d’assurer de façon plus sécurisée le financement de nombreux projets d’infrastructures au Maroc, mais également le financement de tous types d’actifs des entreprises marocaines.
Source : RIBH
Annexes :
Dahir n° 1-13-47 du 13 mars 2013 portant promulgation de la loi 119-12 modifiant et complétant la loi n° 33-06 relative à la titrisation de créances.
Décret d’application de la loi 119-12 : Décret 2-13-375 du 26 Safar 1435 (30 décembre 2013) modifiant et complétant le Décret 2-08-530 du 17 Rajab 1431 (30 juin 2010) relatif à l’application de la loi 33.06 fixant la titrisation de créances, modifiant et complétant la loi 94-35 relative à la circulation de certains titres de créance et de la loi 24-01 relative à la titrisation de créances hypothécaires. Texte publié dans l’édition du Bulletin officiel du Royaume du Maroc n° 6203 du 18 Rabia I 1435 (20 janvier 2014).
Loi de Finances 2013 (l’Article 15 bis comporte une disposition relative à l’exonération de l’opération de titrisation des droits d’inscription sur les titres fonciers).
Loi N°05.14 modifiant la loi N°33.06 relative à la titrisation des actifs.
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