La finance islamique pour relancer l’économie tunisienne

Au lendemain de la révolution tunisienne, la finance islamique constitue une bonne opportunité pour relancer l’entreprenariat, seul moyen de création d’emplois. De même, qu’elle offre à l’Etat tunisien un outil de financement des grands projets très intéressant : le Sukuk.

Relancer l’entreprenariat

L’objectif étant de relancer l’économie tunisienne sur de nouvelles bases, innovantes et créatrices de richesse, il convient de s’attaquer en priorité au chômage qui ronge la société et l’économie tunisiennes, notamment celui des diplômés de l’enseignement supérieur. La finance islamique offre des outils majeurs qui peuvent encourager l’initiative: la Musharaka, la Mudharaba ou les microcrédits à travers les fonds «Zakat».

A noter que la Musharaka est un contrat d’association par lequel l’institution financière, avec un ou plusieurs partenaires, contribue au financement de projets ou d’opérations ponctuelles. Les profits ou les pertes résultant de l’opération sont répartis entre le client et la banque sur des bases fixées en commun accord entre les parties au prorata de leurs apports respectifs.

On distingue deux types de Musharaka, la Musharaka définitive, où le but pour les partenaires est de rester impliqués dans le projet de façon définitive et la Musharaka moutaniquissa (dégressive), où les apporteurs de fonds ont l’intention de se retirer du projet. L’entrepreneur remboursera selon un échéancier prédéterminé.

La Mudharaba est un contrat par lequel l’institution financière ou plus faisant l’apport du capital dit « Rab-al-mal » apporte l’ensemble des capitaux financiers nécessaires au projet sans intervenir dans la gestion à l’entrepreneur dit « Moudharib » qui lui va apporter son capital travail et sa maîtrise et connaissances du projet.

En cas de perte, l’institution financière subit une perte financière et l’entrepreneur (Mudharib) subit une perte de son coût d’opportunité (temps et travail). Ce n’est qu’en cas de fraude ou de négligence avérée que le Mudharib sera appelé à supporter les pertes.

Cette solution permet ainsi à l’épargnant, détenteur de capitaux, d’investir, et à celui qui veut travailler de bénéficier de capitaux financiers.

Ces deux contrats sont très recommandés par les jurisconsultes musulmans car ils répondent au principe d’équipe dans la prise du risque et sa rémunération. Le principe de Partage des Pertes et Profits (Profit and Loss Sharing) est primordial pour ces deux outils.

La collecte de la Zakat, à travers un fonds dédié, peut relancer le secteur des microcrédits. Sous l’égide du ministère des Affaires religieuses, ce fonds peut accorder des microcrédits dont la valeur peut varier dans une fourchette précise (qui peut aller par exemple de 500 à 1.500 dinars). Ce fonds peut devenir ainsi un outil de développement régional à travers la création de micro-entreprises. On peut compter dans ce sens sur une bonne communication de la part de nos «imams», libérés des pressions de l’ancien régime, afin de sensibiliser les gens sur l’importance de contribuer à ce fonds qui servira pour créer des emplois et contribuer à éradiquer la pauvreté dans beaucoup de régions. Des prêts sans intérêts sont accordés et des projets, par exemple dans l’agriculture, la pêche, l’informatique ou la broderie, peuvent voir le jour. Un partenariat peut être signé par le ministère des Affaires religieuses, les banques islamiques existantes en Tunisie (Banque Zitouna et Al Baraka) pour la gestion du fonds et la distribution de ces microcrédits.

Nous imaginons que ces outils peuvent aussi permettre la régulation de secteurs entiers du commerce parallèle qui constitue l’un des maux de l’économie tunisienne, une régularisation qui offrirait à l’Etat des recettes fiscales et aux entrepreneurs la couverture sociale nécessaire.

Pour la réussite de ces outils, il faut bien évidemment la création d’une structure d’entreprenariat allégée (à l’instar du statut d’Auto-entrepreneur ou d’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée existant en France) et de structures d’accompagnement des nouveaux entrepreneurs (sur le plan juridique, fiscal, création de l’entreprise, étude de projet). Le tissu associatif a un important rôle à jouer sur ce plan.

Financer les grands projets par un Sukuk souverain de l’Etat tunisien

La Tunisie a un énorme besoin de financement pour réaliser tous les projets post-révolution. Le désenclavement des régions de l’intérieur du pays tant sur le plan économique que sur le plan des infrastructures est une vraie priorité.

Afin d’éviter à l’Etat tunisien un endettement pour financer des projets d’infrastructure et permettre de désenclaver ces régions (avec la construction de routes, autoroutes, ponts, prolongement de lignes de chemins de fer, lignes de tramway, lignes de métro, aménagements urbains..), nous sommes de ceux qui pensent qu’il serait judicieux que l’Etat tunisien lance un Grand Sukuk pour financer des tels projets.

Le Sukuk est un produit financier islamique adossé à un actif tangible et à échéance fixe qui confère un droit de créance à son détenteur. Le propriétaire d’un Sukuk reçoit ainsi une part du profit attachée au rendement de l’actif sous-jacent.

Les principales caractéristiques du Sukuk sont donc l’absence de taux d’intérêt et l’existence d’un actif tangible sous-jacent qui doit être licite. Le détenteur du Sukuk court un risque et ne reçoit qu’une part de profit et non une rémunération avec un taux d’intérêt fixe (comme pour une obligation classique).

Plusieurs pays émergents ou même développés réfléchissent à l’émission de Sukuks souverains afin de financer leurs projets d’infrastructure. L’intérêt étant que l’émission de Sukuk souverain ne rentre pas dans le calcul de la dette publique de l’Etat.

Le Sukuk souverain tunisien peut être ouvert à la souscription jusqu’à un certain pourcentage à des investisseurs étrangers et en grande partie à des investisseurs tunisiens (professionnels et particuliers) résident en Tunisie ou à l’étranger.

Sur le plan pratique, les actifs, qui sont totalement licites (routes, autoroutes etc..), seront achetés par des sociétés ad hoc (Special Purpose Vehicules) de droit tunisien soumis aux tribunaux tunisiens. Les véhicules ad hoc vont louer ces actifs à l’Etat tunisien ou aux collectivités locales qui peuvent acquérir à terme les actifs financés.

Avec tous les postes d’emplois créés par ces grands projets d’infrastructure, le Sukuk souverain tunisien peut être un moteur pour la relance de l’économie tunisienne, notamment sur le plan régional.

En outre, émettre des Sukuks souverains serait un signal de la volonté de la Tunisie d’être une place financière régionale tant pour la finance conventionnelle que pour la finance islamique.

La réputation de la place financière de Tunis a beaucoup souffert des agissements de l’ancien régime et de ses clans. Les dépassements, les entorses aux règles, les infractions à la législation financière, notamment celle de change en Tunisie, se comptent par milliers.

Afin de relancer la place financière de Tunis, et outre la refonte totale de la réglementation bancaire et financière pour l’adapter aux exigences de l’économie tunisienne et aux attentes des investisseurs étrangers, le recours à des outils de la finance islamique attirerait des investisseurs étrangers et constituera un signal fort afin de redorer le blason d’une place ternie. Tout est certainement question de mentalités et de volonté politique. La recherche d’investissements «Halal» est omniprésente pour beaucoup d’investisseurs soucieux de conjuguer investissement et principes de la chariah.

Les conditions sont propices pour que la place financière de Tunis ouvre finalement et pleinement la porte à la finance islamique qui pourra servir de tremplin pour l’emploi, notamment des diplômés de l’enseignement supérieur.

Par Souhayel TAYEB et Zoubeir BEN TERDEYET, Paris
Source : Webmanager Center – Rewriting : RIBH

  • Souhayel TAYEB, Docteur en droit et conseiller juridique dans les marchés financiers à Paris
  • Zoubeir BEN TERDEYET, Directeur-Associé Isla-Invest Consulting


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