Sortir le Maghreb de la crise

Maghreb

Face à la crise qui marque la rupture du système actuel au niveau énergétique, climatique, démographique, monétaire, économique et politique, la finance islamique constitue un gisement de croissance et un levier d’intégration que les économies maghrébines ne peuvent se permettre d’ignorer.

  • La finance islamique et l’intégration régionale pour libérer les économies maghrébines du poids de la dette
  • De 1980 à 2002, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont remboursé 213 milliards de dollars, soit 7 fois la dette qu’ils devaient en 1980 !
  • Les Sukuks pour financer les investissements intra-maghrébins
  • La moucharaka et la moudharaba pour mobiliser l’entreprenariat

Les pays du Maghreb sont invités à admettre que la finance islamique est une formidable opportunité d’intégration et un gisement de croissance pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, ainsi que pour les autres pays de la région.

La dette est un mécanisme de transfert de richesse du Sud vers le Nord

Selon l’analyse d’Éric Toussaint et Olivier Bonfond sous le titre « Crise de la dette et ajustement structurel » (2005) : « La dette est un mécanisme de transfert de richesse du Sud vers le Nord. Au Maroc, en Algérie et en Tunisie, les transferts de richesses se poursuivent discrètement.

Quand la crise de la dette a éclaté début des années 80, les économies maghrébines se sont retrouvées sous la coupe du FMI et, à l’instar de la majorité des pays du Tiers Monde, ont dû appliquer les politiques néolibérales prônées par le consensus de Washington. Austérité budgétaire (réduction des dépenses d’éducation), privatisations massives et ouverture de l’économie aux « investisseurs étrangers » seront au cœur de ces programmes d’ajustement structurel.

Toutes ces mesures, censées résoudre la crise, ont été appliquées avec une violence extrême et ont entraîné la destruction progressive du tissu économique et social. Les soulèvements populaires et la répression qui s’en est suivie se sont multipliés dans la région : en 1984 en Tunisie, suite au doublement du prix du pain et de la semoule, de graves émeutes dans le sud du pays ont été réprimées au prix de plusieurs dizaines de morts. A Fès en 1990, la répression de violentes manifestations de protestation contre l’application du plan d’ajustement structurel a provoqué la mort d’une centaine d’étudiants.

Plutôt que de diminuer comme le FMI l’avait promis, la dette extérieure publique totale de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie va quasiment doubler entre 1980 et 2002, passant de 32,5 à 53,4 milliards de dollars. Durant cette période, ces pays ont pourtant remboursé 213 milliards de dollars, soit 7 fois la dette qu’ils devaient en 1980 ! » Au Maroc, la dette extérieure publique a connu une hausse de 10% en 2008 s’établissant à 134,2 milliards de dirhams. »

La dette publique est, depuis toujours, un moyen d’asservissement des nations. La finance islamique ne repose pas sur la dette mais sur le partenariat, et dispose d’outils – notamment les Sukuk – qui permettent aux états de financer des investissements dans le cadre de partenariats bilatéraux ou multilatéraux, sans hypothéquer leurs finances et l’indépendance des générations futures.

Le prix du non-Maghreb : 10 milliards de dollars par an et 2 points de croissance

« L’union du Maghreb se meurt ; c’est la triste réalité. La décision de la sauver est entre les mains des politiques, et elle est directement liée à l’existence d’une volonté politique » déplorait récemment le gouverneur de la banque centrale du Maroc, Abdellatif Jouahri.

A l’occasion d’un séminaire organisé en Tunisie en avril 2009 par l’Association des Etudes internationales (AEI),  l’ancien premier ministre algérien Sid Ahmed Ghozali a lancé un appel engageant les pays maghrébins à opérer des  révisions plus que radicales – déchirantes – en faisant fi des obstacles politiques circonstanciels, en choisissant dans la foulée un cap à long terme et en s’impliquant dans un assainissement des bases de la solidarisation d’intérêts, condition préalable à l’effort fédératif.

En gardant les choses en l’état, les pays maghrébins se rendent coupables d’un manque à gagner de 10 milliards de dollars par an et surtout, fait encore plus insoutenable, d’une perte de 2 points de croissance. C’est, en chiffres, le prix du non-Maghreb tel qu’il se dégage d’études convergentes et unanimes.

Des Sukuks pour financer des investissements intra-maghrébins durables et rentables

Malgré ses importantes réserves en devises, l’Algérie reste plus vulnérable que le Maroc et la Tunisie, en raison de son entière dépendance envers ses exportations d’hydrocarbures, alors que le Maroc et la Tunisie ont réussi à diversifier leurs économies. « Le défi pour les prochaines générations sera de passer de l’économie de rente actuelle à une économie de production fondée sur le travail productif des femmes et des hommes de notre pays, sans quoi pas de futur possible. »

Comme l’écrit Hamid Aït Amara (El Watan, Algérie 13 janvier 2009) : « Le bilan du gouvernement [Algérien] se présente comme le compte-rendu d’un Etat rentier à ses clients. Voila comment est dépensé l’argent du pétrole, tant pour les routes, le logement, que pour l’emploi, etc. Il passe sous silence la question du développement, des voies et moyens mis en œuvre pour nous sortir de l’impasse du tout-pétrole. Ce bilan ne saurait en effet dissimuler, d’une part, notre extrême dépendance vis-à-vis des exportations d’hydrocarbures et le fait que nos besoins essentiels, nourriture, autres biens de consommations, sont fournis par les importations, d’autre part. »

Sur le plan budgétaire, l’approche retenue par l’Algérie consiste à préserver et sécuriser ses ressources en devises, même s’il y a une baisse de la rémunération, et de ne pas aller vers les actifs à risques. Par ailleurs, sur un plan stratégique, l’Algérie risque d’être confrontée dans les années à venir au défi de sa sécurité alimentaire.

L’Algérie pourrait investir une part significative de ses réserves de change dans les pays voisins du Maghreb – notamment Maroc et Tunisie – sur la base de contrats de type Sukuks dans des investissements durables, stratégiques et hautement rentables. Outre les projets structurants au niveau régional, dont le caractère stratégique va de pair avec la rentabilité,  l’Algérie a beaucoup à gagner en investissant dans la filière agro-alimentaire exportatrice. L’Algérie diversifierait ainsi ses sources de revenu pour se libérer du tout pétrole, sécuriserait ses approvisionnements agroalimentaires et contribuerait dans la foulée à résoudre le problème d’endettement du Maroc et de la Tunisie.

Moucharaka, moudaraba et micro-finance islamique

Les programmes nationaux de soutien à la TPE et à l’entreprenariat ont besoin d’outils financiers adaptés pour atteindre des objectifs significatifs. Les solutions de financement moucharaka et moudaraba proposées par la finance islamique sont en fait les ancêtres du capital risque et de la commandite.

La micro-finance islamique pourrait par exemple trouver une application dans le Nord du Maroc pour financer des activités de substitution visant à éradiquer la culture du cannabis. Les institutions IMF prêteraient à des éleveurs pour leur permettre d’acheter individuellement du bétail dont le lait ou la chair serait centralisés par une coopérative, ce qui permettrait une répartition des profits conformément au principe de la finance islamique.

Mobiliser l’épargne des résidents à l’étranger

Le Maroc et la Tunisie ont conclu en mai 2009 un mémorandum d’entente relatif à l’encadrement des communautés marocaine et tunisienne établies à l’étranger. L’un des objectifs de cette coopération est de favoriser l’épargne et l’investissement des expatriés marocains et tunisiens dans leur pays d’origine respectifs.

Cependant, dans le contexte de crise économique généralisé, il est légitime de penser que le développement de services financiers halal serait le véritable déclic de l’acte d’investir au pays, notamment les produits d’épargne charia compatible et les contrats d’assurance takaful. L’agrément récent par la Tunisie de la Banque Islamique Zitouna est un pas dans cette direction.

Pour sa part, en dépit de la baisse des cours mondiaux de pétrole et de ses revenus pétroliers, l’Algérie  dispose des capacités de financement de son prochain programme de relance quinquennal (2010-2014) de 150 milliards de dollars, et ce, tout en maintenant un niveau de réserves de change convenable et en annulant quasi totalement sa dette extérieure publique (fin juin 2008, la dette publique extérieure de l’Algérie n’était déjà plus que de l’ordre de 623 millions de dollars US). Il reste que l’Algérie doit trouver des formules judicieuses pour pérenniser son pactole qui pourra difficilement être valorisé dans les limites strictes de son territoire national.

Dynamiser la bourse par une offre conforme à la Charia

Au niveau des personnes et des sociétés privées, acquérir des actions en bourse dans le but de se constituer un patrimoine qui génère un revenu – ou à une plus grande échelle pour participer au contrôle d’une société industrielle ou commerciale – est un acte tout à fait appréciable au regard de l’Islam. L’investissement dans l’économie réelle, loin de toute pratique spéculative, est d’ailleurs au cœur de la finance islamique.

Afin de répondre aux attentes des investisseurs à la recherche d’opportunités d’investissement éthique, il est cependant nécessaire de développer les instruments d’investissement islamiques (OPCVM 100% actions) et de mettre en place des indices regroupant des entreprises Charia compatibles (qui évitent notamment d’intervenir dans les secteurs bancaire et financier conventionnels, la production et la commercialisation d’alcool, les placements générateurs d’intérêts, etc.).

Une réforme fiscale est nécessaire.

En Islam l’économie est au service du développement  et de la création de richesses, sans pénaliser les catégories défavorisées. L’Islam interdit de thésauriser les richesses sans y prélever les droits d’Allah et sans les dépenser dans ce qui est rentable pour l’individu et la société ; l’argent doit normalement circuler entre les gens pour stimuler l’économie, ce qui apporte un profit à tous les membres de la société. Allah dit : ”A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux.” (At-Tawbah, 34).

A cet égard, une révision fondamentale de la fiscalité est nécessaire afin d’une part de lever les obstacles qui entravent le développement de la finance islamique, et d’autre part de remettre en cause la structure même du système fiscal des pays maghrébins pour en faire un outil de développement, orienté vers la taxation de l’épargne et de la spéculation – notamment immobilière – plutôt que la taxation du revenu et de la consommation.

L’Islam taxe en priorité la thésaurisation (épargne dormante) qu’il s’efforce de libérer sous forme de capital productif. L’Islam déconseille de taxer le revenu ou la consommation, et interdit certaines formes de taxes, notamment les taxes indirectes qui pèsent de manière indiscriminée sur le pauvre et le riche.

L’usure (riba) est un pêché majeur en Islam… plus grave selon un Hadith que l’adultère alors que le châtiment réservé à celle-ci peut atteindre la peine de mort !!! Pour relancer leurs économies, la plupart des banques centrales des économies les plus développées ont baissé leurs taux d’intérêts qui tendent vers zéro. Sans le savoir, elles se rapprochent des enseignements de l’Islam.

10 ans pour rendre le système financier maghrébin Charia compatible ?

Si la mise en oeuvre d’un accord de libre échange avec l’Union Européenne nécessite dix ans, la même période devrait largement suffir pour rendre nos banques, nos assurances et nos bourses des valeurs entièrement conformes avec la Charia.

Pour atteindre cet objectif il y a lieu d’ouvrir sans plus tarder le chantier de la mise à niveau légale et réglementaire,  de  créer les filières de formation spécialisées, de mettre en place les structures de certification…

Nos économistes, nos technocrates et nos éminents financiers sont appelés à s’émanciper de leurs maîtres à penser occidentaux, dont les théories ont montré leurs limites et surtout la pauvreté de leur soubassement éthique. En se plongeant avec un esprit ouvert dans les traités d’économie islamique ils contribueront au renouveau de la pensée économique et trouveront les solutions de fond à la crise économique dont les manifestations actuelles ne sont peut être que la partie visible de l’iceberg qui s’avance.

Ce faisant, ils permettront aux Etats maghrébins de se réconcilier avec Allah, avec leurs peuples et avec leurs voisins. Qu’ils en soient d’avance remerciés.

Et dis: « Œuvrez, car Allah verra vos œuvres, ainsi que Son messager et les croyants, et vous serez ramenés vers Celui qui connaît bien l’invisible et le visible. Alors Il vous informera de ce que vous faisiez ». Coran 9 :105

3 commentaires

  1. Un grand merci pour ce site en général et pour cet article en particulier. Le reproche qu’on faisait aux partis islamiques est l’absence d’un vrai programme économique, mais à travers vos écrits, j’ai appris que bon nombre de solutions et de mesures ont été avancé par des économistes musulmans, ça fait du baume au cœur !

  2. Le Maghreb est en panne et handicapé, économiquement, socialement et culturellement, ce bloc régional peut devenir in chaallah une puissance, et faire bénéficier les peuples; des progrès engendrés par leur développement.

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