Anouar Hassoune
Il a été beaucoup question d’obligations islamiques à l’occasion du premier forum de la finance islamique tenue les 2 et 3 avril 2008 à Casablanca. Pour Anouar Hassoune, Vice-président – Senior Credit Officer chez Moody’s, les sukuks peuvent représenter une alternative pour la diversification de la dette africaine. A condition de bien baliser le terrain. Entretien.
Les Afriques : Quel regard portez-vous sur l’évolution de la dette africaine ?
Anouar Hassoune : La structure de la dette africaine a changé. Le continent s’endette moins à l’international et le secteur bancaire africain prend de plus en plus de parts dans ce marché de la dette. En termes de valeur relative, le taux d’endettement par rapport au PNB a commencé à décroître. C’est en partie lié au caractère dynamique de la croissance africaine observé il y a deux à trois ans. En 2006, le taux de croissance a été de 6%. La montée en force de l’Inde et de la Chine, deux pays consommateurs de matières premières, a joué un rôle déterminant dans cette évolution. Ce sont là de bonnes nouvelles qui vont inciter les Etats à investir les champs d’infrastructure. Nous avons besoin de capital humain et de capital physique. L’embellie doit aussi servir à l’Afrique pour enclencher une dynamique de dette choisie et non subie avec un refinancement de manière intelligente et diversifiée. La diversification passe par le choix de nouveaux partenaires comme la Chine et le Golfe. Dans cette dernière zone, les liquidités sont importantes et les investisseurs s’intéressent aux émissions obligataires à caractère islamique. Donc l’option sukuk est envisageable pour l’Afrique.
LA : Quel est le sens terminologique du mot sukuk ? Quelle est sa dimension financière ?
AH : C’est le pluriel du mot arabe sak qui veut dire « titre ». Il s’agit d’un document qui atteste de l’endettement d’un émetteur auprès du marché. C’est une dette échangeable, une obligation non basée sur le taux d’intérêt mais adossée à un sous-jacent et structurée. Les rendements servis aux investisseurs sont extraits d’un actif sous-jacent que les sukuk ont permis de financer. La création de la richesse rémunère les détenteurs des obligations. C’est une obligation structurée parce qu’en permanence il faut faire de telle sorte que l’émission de l’obligation et le financement de la structure soient coordonnées.
LA : Connaît-on des expériences d’émission de ces obligations islamiques en Afrique ?
AH : L’Afrique, jusque-là, a émis essentiellement des obligations conventionnelles par des émetteurs souverains. On dénombre une seule obligation islamique émanant d’une entreprise soudanaise. En l’occurrence, ce ne sont pas des sukuk souverains mais des sukuk corporate privés. A l’avenir, il est envisageable que le Royaume-Uni, le Japon, Singapour fassent de plus en plus recours à ce type de financements pour bénéficier des liquidités du Golfe. J’ai envie de dire pourquoi pas l’Afrique.
LA : Y-a-t-il des obstacles au développement de ces obligations sur le continent africain ?
AH : En fait, nous sommes encore en phase de désendettement relatif en Afrique. Pour l’instant la question du retour à la dette ne se pose pas en des termes cruciaux. Le financement des infrastructures se fait essentiellement par l’intermédiaire du budget de l’Etat. A terme, la diversification va se faire. Les contraintes sont d’ordres juridique et fiscal. A cela s’ajoutent les barrières psychologiques et le manque d’information et de pédagogie auprès des acteurs africains.
LA : Les sukuk sont-ils moins chèrs que les obligations ?
AH : La réponse est oui. Le prix de l’obligation, c’est son taux. Les rendements du sukuk sont extraits de sous-jacents. La quantité de rendements servis aux investisseurs dépend de deux choses : la qualité de la signature de l’émetteur rendue par la notation et la liquidité. Si la liquidité est importante, le prix baisse. Aujourd’hui, sur le marché international de la dette, la liquidité est mise à mal par la crise du subprime. Donc les taux auxquels l’émetteur s’endette ont augmenté. La liquidité a quasiment disparu dans le monde sauf dans deux poches, en Chine et dans le Golfe persique, grâce au pétrole. La dimension liquidité inclue dans le prix ne prévaut pas dans le Golfe. En comparaison à une émission classique, une obligation islamique subit moins la contrainte de liquidité. Du fait de cette situation, la tarification avantage les sukuk en comparaison d’une obligation classique.
LA : Il y a une diversité de sukuk. Quels sont ceux qui sont adaptés à l’Afrique ?
AH : Les structures sont différentes. Chaque émission de sukuk est différente. Il y a des obligations émises par les banques, d’autres par des compagnies industrielles, d’autres encore par des Etats pour financer leurs besoins. Pour le cas de l’Afrique, ce sont les sukuk adossés aux infrastructures qui seront les plus demandés. J’en veux comme exemple le Maroc, la Tunisie, l’Algérie et la Libye, quatre pays investis par Gulf Finance House. Dans chacun des cas, la dimension infrastructure et développement était présente.
LA : Comment procédez-vous pour noter les obligations et les actifs islamiques en général ?
AH : Il y a deux classes de sukuk : ceux dont la valeur terminale est garantie par l’émetteur et ceux qui sont titritisés. Dans le premier cas, la garantie est portée par l’émetteur. En d’autres termes, la qualité de l’obligation est la note de l’émetteur. Dans le deuxième cas, l’obligation dépend du sous-jacent. Elle peut être saucissonnée en différentes tranches de différentes notes adossées sur le même titre. Le procédé améliore la liquidité du titre et permet d’intéresser différentes catégories d’investisseurs n’ayant pas le même appétit pour le risque. Pour noter les banques islamiques, on utilise une méthodologie proche des banques classiques avec deux catégories de risques majeurs : le risque de réputation et le risque commercial translaté qui apparaît en cas d’illiquidité.
Propos recueillis par A.W, Journal Les Afriques 16-04-2008