La « triangulation » du financement de l’entreprise en finance islamique

moncef-cheikh-rouhou.jpg  Par Moncef Cheikh-Rouhou *

La perception de l’argent en Islam comporte certains caractères particuliers. L’argent est considéré comme un outil de mesure de la valeur et non un actif en soi. En conséquence, la génération de l’argent, uniquement à partir de l’argent, n’est pas conforme. Est-ce de là à dire que l’intérêt et l’Islam sont contradictoires ? Pas nécessairement, car si un financement conforme à l’Islam doit satisfaire une condition particulière, par exemple que  le financeur du cycle de production achète effectivement la matière première ou les produits semi-finis pour les vendre à l’industriel avec une marge, ceci est consigné dans un contrat impliquant les trois parties prenantes. La « triangulation » de l’opération de financement est censée non seulement garantir la destination du prêt mais aussi et surtout impliquer le prêteur dans l’évaluation de son client donc de sa prise de risque effective. La rémunération du financement comporte donc de la part du financeur, un élément d’effort ou un élément de prise de risque correctement évalué, ou les deux à la fois. De cette manière, la déconnection entre l’argent et la rémunération du financement est bien effective.

Ceci veut-il dire que deux systèmes financiers risquent d’exister en se tournant le dos ? Non. Ce serait plutôt l’inverse qui a toutes les chances de se passer. Car rien n’empêche la comparaison du coût du financement obtenu par l’application de cette démarche au taux d’intérêt conventionnel. Le dialogue permettrait aux deux de gagner : l’un obtenant des renseignements sur les taux à partir du pouls macroéconomique, l’autre obtenant des renseignements plus fiables sur les risques de crédit au niveau de l’entreprise et du secteur. Les deux bénéficieraient d’un avantage supplémentaire car les risques de dérapage dû à la réorientation intempestive des prêts deviennent très limités.

Ce début de collaboration a lieu justement sur le marché financier des « Sukuk » véritables obligations conformes aux règles de l’Islam. Une fois réalisée la traduction technique des conditions que doit satisfaire le mode opératoire, la gestion peut être réalisée par les plus compétents dans le « Risk Management » et non pas nécessairement pas les plus pieux. Le marketing basé uniquement sur l’appartenance à une croyance n’est pas acceptable et il peut même être néfaste par les catastrophes qu’une gestion incompétente pourrait causer.

La Malaisie, Bahreïn et Dubaï ont développé au sein de leur banque centrale des systèmes de contrôle très efficients C’est ainsi que le boom que connait le marché de ces instruments dits islamiques (500 milliards de dollars à ce jour avec un taux de croissance de 20%) attire non seulement les 270 banques dites islamiques dans le monde, mais aussi et de plus en plus les grandes banques internationales telles que Citigroup et Deutsche Bank qui ont créé des départements entiers pour creuser leur niche dans ce marché.

En tout état de cause, ces nouveaux développements doivent être traités comme des innovations financières ayant certainement leurs mérites et leurs risques propres, mais devant être soumis à une réglementation prudentielle aussi stricte que celle qui supervise le reste des marchés financiers.. Londres est la première place occidentale qui s est lancée depuis deux ans dans l’étude des mesures de contrôle, d’inspection, de règles prudentielles spécifiques et même de législation appropriée.

(*) Moncef Cheikh-Rouhou a obtenu un PhD et un MBA de l’Université de Californie à Berkeley ainsi que le diplôme d’Ingénieur de l’Ecole Centrale de Paris. Avant de reprendre ses activités d’enseignement à plein temps en France, il a assumé des responsabilités de Création (Institutions Building) et de Direction d’Institutions Financières. Il a ainsi co-fondé et présidé la banque d’affaires maghrébine IMBANK (International Maghreb Merchant Bank). Auparavant, en tant que représentant de l’Etat tunisien, il a fondé et dirigé pendant plus de dix ans la BEST Bank. Il a fondé et dirigé l’Institut de Financement du Développement (IFID), spécialisé dans la recherche financière et la formation supérieure de managers et dirigeants pour les banques, les compagnies d’assurance et les ministères des finances du Maghreb. Il avait fait partie pendant plusieurs années du Corps Professoral Permanent du Groupe HEC à Jouy-en-Josas. Ses domaines d’intérêt concernent les implications économiques, financières et stratégiques des rapprochements entre l’Union Européenne et les économies émergentes qui lui sont voisines.

Source : Le Monde.fr – 2/10/2007

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