Tariq Ramadan dénonce l’hypocrisie de la finance islamique en marge du salon financier Investissima

L’islamologue plaide pour une finance éthique accessible au grand public, et tance l’approche mercantiliste.

Après huit ans à Lausanne, le salon Investissima s’est offert une 9e édition à Genève pour la première fois, doublé d’une tribune de réflexion, le Geneva World Financial Forum. Trois jours de conférences ont offert des thèmes actuels et de qualité… Un des moments forts a été l’intervention de Tariq Ramadan. L’intellectuel genevois de renom, qui vit actuellement à Londres, s’est penché sur le phénomène de l’essor de la « finance islamique ». Il a mis en garde contre « l’hypocrisie » qui règne sur ce marché. Florissante depuis trois ans, cette industrie crée des produits financiers pour les investisseurs musulmans respectueux de la charia, ou loi dérivée du Coran. Mais ses promoteurs « ne font en réalité que remplacer le langage financier classique par une terminologie spécifique, déplore l’islamologue : en gros, on change les noms, mais on fait la même chose ».

Ainsi, la finance islamique a réussi, au gré d’une savante ingénierie financière, à trouver des substituts conformes à l’islam à tous les instruments de placement, des plus sûrs aux plus spéculatifs : on trouve des obligations islamiques (sukuk) qui contournent l’intérêt, prohibé en islam, grâce à la technique de « ijara ». Et si l’islam interdit la spéculation, des équivalents licites aux options et produits dérivés ont été échafaudés (« arbun » ), permettant l’essor des produits structurés islamiques. Même la vente à découvert, pratiquée par les hedge funds, devient islamiquement correcte avec l’usage d’un contrat à terme qui évite l’endettement. « L’approche, dit Tariq Ramadan, est trop utilitariste, et sa dimension éthique reste marginale. »

La forte technicité qui s’est emparée de ce domaine ne doit pas éclipser les vrais enjeux, avertit Tariq Ramadan : « Tout cela est-il réellement une nouvelle façon de penser l’économie ? » Non, c’est d’abord un marché lucratif qui utilise ces techniques pour viser à réaliser le même rendement que la finance traditionnelle.

Elitiste, cette industrie cible avant tout les fortunes des pétromonarchies, poursuit Tariq Ramadan, tandis que les classes moyennes et les PME musulmanes peinent à trouver des services bancaires respectant leur éthique. Même en Grande-Bretagne, note l’intellectuel, pays le plus avancé d’Europe sur ce plan, on trouve certes des hypothèques « halal » (licites) auprès de HSBC ou de l’Islamic Bank of Britain, mais l’on est encore très loin de répondre à la demande et de favoriser la création d’entreprises. Ainsi, les prêts islamiques « Musharaka » restent réservés aux gros projets et inaccessibles aux particuliers et PME. « Sur le terrain, note-t-il, l’espoir vient des financements alternatifs offerts par les instituts de microcrédit, comme la Banque islamique de développement. »

En soi, juge Tariq Ramadan, l’appellation « finance islamique » est problématique. « Il convient plutôt de parler d’éthique islamique en économie. » Car, pour lui, c’est d’abord d’éthique qu’il s’agit. Et l’approche éthique de l’investissement, qui fait défaut à l’heure actuelle, n’est pas l’apanage d’une religion. Le sens de l’équité, la redistribution des richesses (principe de la « zakat » en islam) et l’enrichissement par le seul capital productif tiré du commerce légitime sont des principes éthiques avant d’être islamiques. « Ces valeurs élevées existent dans toutes les traditions religieuses et humanistes, et devraient insuffler une pensée renouvelée dans notre pratique de la finance », conclut le philosophe.

Source : Le Temps (Suisse), 22/05/2006

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